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Origine et formation de la Noblesse


ORIGINE ET FORMATION DE LA NOBLESSE

par Monsieur Louis dela Roque, avocat à la Cour Impériale 1860

Noblesse, dans la signification générale de ce mot, exprimait ce qui se fait connaître d'une façon éclatante: nobilis, notabilis, à noscibili, distingué, remarquable.


Dans une signification plus restreinte, ce mot servait à désigner un ordre de citoyens distingué de tous les autres. Tous les hommes naissent égaux par le droit de nature; mais cette nature qui les destine à vivre en société, rompt elle-même l'égalité primitive.


« L'égalité, disait Voltaire, n'est pas l'anéantissement de toute subordination; nous sommes tous également hommes, mais non membres égaux de la société... Les hommes sont égaux dans l'essentiel, quoiqu'ils jouent sur la scène des rôles différents. »


Si quelques peuples affectent une égalité entière et parfaite, on peut prouver aisément que c'est chez eux l'effet des lois ou d'usages bien postérieurs au premier arrangement des choses, et qu'en semblant y déroger ils en conservent encore malgré eux de fortes impressions. Les Etats-Unis nous en offriraient plus d'un exemple; il suffirait de rappeler l'antipathie et l'orgueil de leurs races, la dureté de leur esclavage, et le fanatisme intolérant des know-nothing.


« La véritable et intelligente égalité consiste, non pas à proscrire les distinctions, mais à en permettre l'accès à tous ceux qui s'élèvent par leur courage, par la dignité de la conduite ou par l'éclat des services. »


Les distinctions sociales dont l'ensemble constitue la noblesse se retrouvent chez tous les peuples et dans tous les pays; elles apparaissent à l'origine de toutes les civilisations, comme le résultat ou la récompense de la valeur, comme le signe authentique d'une supériorité acquise et acceptée.


« La noblesse, disait Vauvenargues, est un héritage comme l'or et les diamants; ceux qui regrettent que la considération des grands emplois et des services passe au sang des hommes illustres, accordent davantage aux hommes riches, puisqu'ils ne contestent pas à leurs neveux la possession de leur fortune, bien ou mal acquise; mais le. peuple en juge autrement: sage distribution qui, tandis que le prix de l'intérêt se consume et s'appauvrit, rend la récompense de la vertu éternelle et ineffaçable. »


L'ambition de cette supériorité est naturelle au cœur de l'homme.

« Ceux qui sont nés avec la noblesse ne considèrent rien au monde de plus avantageux, et ils souffriraient plutôt la privation des biens de la vie que la perte de cet honneur. Ceux qui en sont déchus par quelque accident, tentent sans cesse les moyens d'être rétablis; et ceux à qui la naissance l'a déniée, n'ont point de soin plus pressant ni d'ambition plus forte que d'y parvenir.»


Horace disait déjà aux turcarets de son temps:

Licet superbus ambules, fortuna non mutat genus.


Nous ne prétendons pas nier ou excuser les faits de violence ou d'usurpation qui se sont produits à toutes les époques, mais d'ordinaire, c'est parmi les chefs des armées conquérantes et leurs lieutenants, parmi les possesseurs des terres fiscales ou allodiales, des fiefs et des bénéfices, parmi les élus de la nation et les titulaires des hautes magistratures des villes et des métropoles, parmi les leudes, fidèles, antrustions, convives ou amis du roi, aussi puissants quelquefois que le roi lui-même, qu'il faut rechercher l'origine de la.noblesse française.


La diversité des systèmes prouve combien il est difficile d'éclaircir cette origine et de lui donner une cause unique.


Boulainvilliers a cru qu'au moment de la conquête les Francs et les Gaulois ne formant qu'un corps de société, les premiers furent tous gentilshommes et les derniers roturiers. Montesquieu veut que même au delà du Rhin, les Francs aient eu comme une noblesse réelle, et que des familles, par l'avantage de leur naissance, possédassent des prérogatives particulières et distinctives. L'abbé Dubos et M. de Valois ont prétendu que les Francs, sous leurs rois, n'étaient point partagés en deux ordres de citoyens, et que toutes les prérogatives étaient personnelles.


M. Ardillier croyait reconnaître dans le capitulaire de 813, arrêté à Aix-la-Chapelle, dans une assemblée générale de la nation, qui rendit la condition de 600 sols héréditaire en faveur des antrustions, le véritable fondement de la noblesse. L'abbé Mably, enfin, place cette origine dans le traité d'Andely en 587.


Chérin, en résumant ces opinions, réserve la sienne, et ne considère la noblesse qu'au moment où l'établissement des fiefs affermit l'hérédité des prérogatives.


L'hérédité dans la famille qui établit la noblesse du sang précéda l'hérédité des fiefs et des offices. Les historiens des premiers siècles de la monarchie reconnaissaient que les hautes magistratures et les premières dignités ecclésiastiques étaient confiées de préférence aux gens de naissance, de stirpe nobili.


Jusqu'au milieu du neuvième siècle les dignités, les distinctions de titres furent personnelles et dépendantes de la possession des fiefs et des offices accordés par le prince ; elles ne passaient aux enfants, héritiers des titulaires, que dans des cas particuliers qui ne faisaient ni loi ni coutume. C'est dans ce sens qu'il faut entendre ces paroles que le moine de Saint-Gall place dans la bouche de Charlemagne, s'adressant aux enfants de la haute noblesse de son empire:

« Vous autres nobles sortis des premières maisons du royaume, élevés dans la mollesse et vous admirant vous-mêmes, vous avez compté sur votre naissance et sur vos richesses ; vous vous en êtes fait un titre pour mépriser mes ordres, et préférer à l'étude la débauche, le jeu, l'oisiveté et de vains exercices : par le Dieu du ciel, votre noblesse et vos charmes ne me sont rien, quoique d'autres les admirent; comptez que si vous ne changez de conduite vous n'aurez jamais à vous louer de Charles. »


C'est dans l'assemblée de Kiersy-sur-Oise (877) que Charles le Chauve, empereur, partant pour Rome en laissant la régence à son fils aidé du conseil des évêques, des comtes, d'un certain nombre de vassaux pour les affaires ordinaires, et du suffrage de l'assemblée générale des fidèles pour les plus importantes, fit une loi de l'hérédité générale de toutes les fonctions et de tous les bénéfices en faveur des héritiers, même en bas âge.


Il alla jusqu'à prescrire aux seigneurs, tant ecclésiastiques que séculiers, d'en user de même à l'égard de leurs propres vassaux.


Il semble que la Royauté, dont les domaines se réduisaient alors aux villes de Reims et de Laon, n'ayant plus rien à distribuer à la Noblesse, lui donna l'hérédité.


Le pouvoir, s'échappant des mains débiles des successeurs de Charlemagne, tomba sur le sol et s'y brisa en des milliers de parcelles, semences fécondes de cette individualité vigoureuse et puissante qui sauva le pays des invasions teutoniques, fit son éducation militaire, et protégea la formation de nos associations communales, premiers berceaux de la liberté.


L'hérédité des fiefs et l'établissement général des arrière-fiefs éteignirent le gouvernement politique et formèrent la hiérarchie féodale; le droit de primogéniture, qui s'établit afin d'assurer le service militaire et les autres obligations féodales, donna la véritable forme à l'institution monarchique, déjà compromise par la loi germaine du partage.


« Point de terre sans seigneur, point de seigneur sans terre », deviennent les axiomes fondamentaux de la société nouvelle, et la noblesse résulta de la possession ou de l'investiture du fief.


Chacun des barons, comme l'observe Beaumanoir, fut souverain en sa baronnie : leurs petites cours offrirent l'image de la cour des rois et des empereurs; ils réunissaient autour d'eux leurs officiers et leurs vassaux; ils avaient des sénéchaux, des chanceliers, des plaids, et plus tard des parlements pour rendre la justice; ils exercèrent le droit de paix et de guerre les uns à l'égard des autres et contre le roi lui-même; ils firent des conquêtes, des traités, et imposèrent sans difficultés des taxes à leurs sujets pour subvenir aux frais de la guerre. Tous les manoirs furent crénelés et fortifiés, chaque propriétaire fut à la fois vassal et seigneur, vassal à l'égal du suzerain, suzerain à l'égard de l'arrière-vassal ou vavasseur.

La châtelaine elle-même avait un rôle élevé. Défendre le château en l'absence du seigneur, commander aux hommes d'armes, présider aux jeux chevaleresques, accompagner dans les longues chasses d'automne, l'émerillon au poing; puis à la veillée entendre les récits de quelque trouvère, décider parfois les questions délicates proposées aux cours d'amour, encourager partout la loyauté, la bravoure, l'honneur chevaleresque; tel était le rôle de la châtelaine. Il élevait les âmes et fortifiait les cœurs.


Le vide fait dans les rangs de la noblesse par les luttes de la féodalité, les croisades, les voyages d'outre-mer, et les guerres nationales contre les Anglais, fut rempli soit par les acquéreurs de fiefs nobles, citoyens que le négoce et la culture des arts avaient enrichis, soit par les villageois (vilani, vilains), attachés aux domaines ruraux.


La guerre des Albigeois, la domination de Simon de Montfort, fut pour la noblesse de Languedoc une cause de ruine qu'il faut ajouter à celles que nous venons d'énumérer.


« L'hérésie des Albigeois, dit Vaissette, eut de tristes résultats pour le pays; il fut entièrement désolé par la sanglante guerre qu'elle fit naître, durant laquelle la plus grande partie de son ancienne noblesse ou périt, ou fut obligée de céder ses biens à des étrangers. »


Les fiefs transmirent à la postérité des acquéreurs leurs franchises, leurs privilèges, en un mot leur noblesse. Or, comme un des devoirs du fief obligeait le possesseur à suivre à la guerre le seigneur dont le fief relevait, la réception dans l'ordre de la chevalerie agrégeait tacitement au corps de la noblesse le roturier qui s'adonnait uniquement à la profession des armes et qui s'y distinguait .


Cette agrégation par la possession des fiefs nobles, qui doit être considérée comme une seconde phase dans l'histoire de la noblesse, ne se fit pas sans résistance de la part des anciennes familles, et sans quelques précautions de la part de nos rois.


La noblesse s'acquérait, suivant les Établissements de Saint-Louis, par la possession d'un fief à la tierce-foi, c'est-à-dire qu'un roturier acquérant un fief noble, ses descendants étaient nobles à la troisième foi (hommage) du même fief, et le partageaient noblement à la troisième génération.


La foi était pour le roturier et l'hommage pour les gentilshommes.


Cette nouvelle classe de noblesse fut difficilement acceptée dans les rangs de l'ancienne, qui lui refusait le droit de guerre privée, celui de présenter gage de bataille et de combattre à cheval avec pleines armes; elle l'excluait même des tournois.


« Qui que vous soyez, disaient les hérauts d'armes à l'ouverture des tournois, qui avez été récemment anobli, ou qui n'êtes pas en état de prouver votre noblesse d'extraction ou votre origine par titres de quatre degrés au moins d'ascendants, n'assistez pas à ces jeux. »

« Quisquis recentioris nota nobilis, et non talis es ut à stirpe nobilitatem tuam et originem quatuor saltem generis autorum proximorum gentilitiis insignibus probare possis, his quoque ludis abesto. »


C'est à ce système touchant l'ancienneté requise pour donner le complément et la perfection à la noblesse, que l'on peut rapporter les statuts anciens des ordres royaux de chevalerie, et de plusieurs collèges de noblesse.


A mesure que l'autorité royale se consolida, ces agrégations devinrent moins fréquentes. Les acquéreurs de fiefs nobles qui ne faisaient point partie de la noblesse ne changèrent pas de condition, et furent tenus de payer une finance au seigneur immédiat, et, depuis Charles V, au roi de France : ainsi s'établit le droit de franc-fief perçu par le domaine royal jusqu'en 1789.


On ne peut disconvenir cependant que cette acquisition de fiefs n'ait été l'origine de la noblesse d'un grand nombre de familles, et la source de beaucoup d'usurpations, malgré la sévérite des édits de Charles IX, d'Henri III, d'Henri IV, de Louis XIII et de Louis XIV.


« Nobles étaient jadis non seulement les extraits de noble race en mariage, ou qui avaient été ennoblis par lettres du roi, ou pourvus d'offices nobles, mais aussi ceux qui tenaient des fiefs et faisaient profession d'armes. »


La profession d'armes jointe à la possession du fief, étaient les deux caractères distinctifs de la noblesse ancienne, et la politique de nos rois, qui ne voulait porter aucune atteinte « aux droits acquis » et « aux possessions légitimes, » ne demandait pas d'autres justifications pour maintenir la noblesse des familles qu'une possession centenaire et incontestée, si rien ne montre roture antérieure.


Mais l'orgueil aristocratique, la vanité de la perpétuité du sang, n'acceptèrent pas ce niveau égalitaire qui déclarait « nobles et issus de noble race et lignée » tous les gentilshommes dont la filiation prouvée remontait au delà de 1560.


Les gentilshommes de nom et d'armes, ou d'ordre chevaleresque, voulurent avoir le pas sur la noblesse de race ou de parage, qui se croyait elle-même supérieure aux fils des anoblis par lettres patentes ou par les charges publiques.


L'idée de conquête et de descendant des vainqueurs est celle qui a toujours le plus flatté la noblesse de tous les pays et de tous les âges.


Tous les gentilshommes espagnols sont «hidalgos,» fils de Goths et « nobles comme le roi ; » en Castille, quelques-uns même ne dédaignent pas de l'être « un peu davantage, un poco più ; » les maisons distinguées du royaume d'Angleterre cherchent leur origine dans le sang des Normands et des Saxons, et justifient leur antiquité par l'étymologie de leurs noms qu'ils tirent de la langue de ces deux peuples ; les Allemands se croient aborigènes, et tranchent ainsi la plupart des questions qui ont si longtemps divisé la noblesse française. On appelait gentilhomme de nom et d'armes celui dont l'origine, toujours inconnue, remontait aux premiers siècles de la féodalité, et permettait de préjuger ainsi la participation de ses ancêtres aux grandes luttes, aux grands exploits, aux grandes expéditions militaires de la chevalerie.


Le gentilhomme qui ne pouvait par titre ou par notoriété suffisante percer les ténèbres des douzième, treizième et quatorzième siècles, était réputé gentilhomme de race ou de parage (par son père).


Les fils d'anoblis devenaient gentilshommes de race après la quatrième génération, et avaient alors accès dans les ordres de chevalerie et les chapitres nobles; ils pouvaient même prétendre aux honneurs de la cour, sous le bon plaisir du roi, si l'époque de l'anoblissement de leur famille remontait au delà de 1400.


Mais plus tard ces distinctions ne suffirent plus, et la noblesse eut ses casuistes qui créèrent les dénominations de gens de qualité, de condition, distingués, honorables. Les premiers étaient ceux que leur ancienneté, leurs alliances, leur valeur et leurs grandes possessions territoriales tenaient constamment plus près du trône; à eux les compagnies de cent et de cinquante hommes d'armes, les sénéchaussées des provinces à l'époque où cette charge était encore essentiellement militaire, les gouvernements des provinces qui leur ont succédé, les grands offices, les grands emplois à la cour; plus tard, l'entrée aux écuries du roi, surtout à la petite; les honneurs de la cour, etc.


Les gens de condition étaient ceux qui, semblables aux premiers en bien des points, avaient moins d'importance territoriale, et ne pouvaient accomplir des faits d'armes aussi marquants, ne disposant pas de tant de vassaux. Ils servaient dans les troupes régulières, et, moins détournés du service, arrivaient par leur assiduité à des grades élevés et avaient, par les soins extrêmes qu'ils apportaient dans leurs alliances, leurs entrées, comme les premiers, dans les chapitres nobles et à Malte.


Les gens distingués étaient encore nobles de race ou d'épée, mais plus campagnards; ils servaient avec autant de valeur, mais moins d'éclat, et relevaient d'autres seigneurs plus puissants qu'eux.


On appelait enfin gens honorables, ceux qui, possédant beaucoup de fortune ou de talent, étaient parvenus à la noblesse par les charges qui anoblissaient. Ils vivaient grandement et avec distinction, mais n'arrivaient qu'après les autres.

 

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